La rémunération des artistes de la musique à l’ère du numérique

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Il est parfois affirmé que les artistes-interprètes seraient mal ou pas rémunérés dans le cadre de l’exploitation en ligne de leurs enregistrements musicaux.

Pour étayer cette assertion, certaines personnes invoquent les montants qui seraient collectés (quelques centaines d’euros !) par les sociétés de perception et de répartition d’artistes-interprètes ainsi que certaines pratiques contractuelles qui seraient imposées par les producteurs phonographiques.


Le rôle des sociétés civiles d’artistes dans le numérique

Rappelons que les artistes-interprètes bénéficient d’un droit exclusif dans le cadre de l’exploitation en ligne de leurs prestations.

La plupart du temps, ce droit exclusif est cédé par les artistes aux producteurs phonographiques dans le cadre d’un contrat de travail conformément aux dispositions de l’article L.212-3 du Code de la propriété intellectuelle.

Dans ces conditions, la rémunération des exploitations en ligne des prestations des artistes-interprètes n’est pas assurée par les sociétés de gestion collective d’artistes (ADAMI, SPEDIDAM) mais par leur producteur.

Ces sociétés civiles gèrent en revanche pour le compte des artistes-interprètes les licences légales que sont la rémunération équitable et celle pour copie privée.

Par conséquent, il convient de ne pas confondre le périmètre d’intervention des sociétés de gestion collective d’artistes avec la question de la rémunération des artistes sur Internet.


Les artistes-interprètes dits principaux et les artistes-interprètes musiciens

Les artistes-interprètes dits principaux sont ceux qui ont conclu un contrat d’exclusivité avec une maison de disques. Leur rémunération est le plus souvent composée, d’une part, d’un salaire, dont le montant minimum est encadré par la convention collective de l’édition phonographique, d’autre part, de redevances et d’avance sur redevances qui correspondent aux produits de l’exploitation de leurs enregistrements.

Les artistes musiciens ont vocation à accompagner l’artiste dit principal dans l’enregistrement de son album. Leurs rémunérations sont encadrées par la convention collective de l’édition phonographique qui fixe des montants minimums. Outre les salaires perçus par les musiciens, ces derniers bénéficient également de rémunérations complémentaires forfaitaires et proportionnelles en contrepartie de l’acquisition de leurs droits dits secondaires selon une grille précise.


La rémunération des artistes : une rémunération par définition contractuelle dont la nature n’a pas changé avec Internet

En ce qui concerne les exploitations en ligne, tout comme pour la vente de supports physiques, les artistes-interprètes sont rémunérés directement par leur producteur et les modalités de cette rémunération sont fixées par le contrat de travail conclu entre eux. Celles-ci varient donc au gré de ces négociations contractuelles.

Outre les salaires qui rémunèrent le temps passé en studios d’enregistrement, les artistes-interprètes perçoivent également des rémunérations proportionnelles en contrepartie de l’exploitation de leurs droits.

L’exploitation d’enregistrements musicaux sur Internet n’a entraîné aucune modification de ces usages [1] : les artistes qui percevaient une rémunération proportionnelle au titre des ventes de supports continuent à percevoir une rémunération de même nature s’agissant des exploitations sur Internet.

En outre, la rémunération des exploitations sur Internet s’inscrit toujours dans le cadre général du contrat d’artiste, lequel a vocation à régir l’ensemble des aspects caractérisant les rapports entre ce dernier et son producteur dont notamment la rémunération due pour d’autres modes d’exploitation, les avances consenties, la durée d’exclusivité et ses modalités d’application.

Par conséquent, la rémunération pour les exploitations en ligne des prestations des artistes ne saurait, pour être appréciée à sa juste mesure, être extrapolée des autres conditions contractuelles qui constituent un tout indivisible permettant d’évaluer le lien contractuel entre un artiste et un producteur.


Le niveau de la rémunération des artistes sur Internet : un pourcentage qui se maintient sur une assiette qui diminue au détriment de l’ensemble des acteurs de la filière musicale

Le taux négocié entre l’artiste et le producteur dans le cadre de la vente sur supports physiques est appliqué de la même manière s’agissant des exploitations dématérialisées sur Internet. En revanche, l’assiette de cette rémunération diminue non pas au seul détriment des artistes mais de l’ensemble de la filière musicale (artistes, producteurs, auteurs/compositeurs).

Cette diminution de l’assiette de rémunération de l’ensemble des ayants droits bénéficie d’ailleurs aux seuls consommateurs qui acquièrent un album sur Internet à un prix inférieur d’au moins de 35 % par rapport à son prix sur un support physique.

Ainsi, on observe que :

 La marge nette du producteur est inférieure dans le domaine du numérique par rapport à celle dégagée dans le cadre la vente de supports physiques ;

 Le taux de rémunération d’un artiste-interprète n’est pas inférieur dans le numérique par rapport au taux effectivement perçu dans de le cadre de la vente de supports physiques ;

 Nonobstant un taux de redevance identique pour l’artiste-interprète, les sommes sont à quantités comparables, de  moins 35 % pour le téléchargement ;

 Pour les ayants-droit, un téléchargement correspond à une vingtaine d’écoutes sur un service de streaming payant et à plus de deux cent écoutes sur un service de streaming gratuit.

La diminution des coûts de distribution sur Internet ne permet pas de compenser l’augmentation sensible des frais fixes supportés par les producteurs

Les coûts liés à la structure purement logistique de distribution ont vocation à varier en présence d’une distribution physique ou numérique.

Toutefois, cette variation impacte peu sur le coût total des dépenses des producteurs étant donné que les frais liés à la logistique de distribution de supports physiques constituent un poste secondaire des dépenses consenties par les producteurs, environ 8 %.

En revanche, près de 66 % des dépenses des producteurs sont affectés à la production (frais d’enregistrement) et au marketing (publicités télé, radio et presse).

Or, la production d’un album et sa promotion ne coûtent pas moins cher parce qu’il est distribué sur Internet.

Le même principe s’applique sur les frais de structure supportés par les producteurs. Rappelons à cet égard que l’industrie phonographique emploie très peu d’intermittents par rapport aux autres industries culturelles (spectacle vivant, audiovisuel et cinéma)  puisque 90 % de la masse salariale des producteurs concerne des permanents.

En définitive, la nécessité de préserver la rémunération des artistes sur Internet passe nécessairement par une juste valorisation de la musique sur Internet pour l’ensemble des acteurs de la filière musicale.

A défaut, c’est la capacité des entreprises culturelles implantées en France de continuer à produire des nouveaux talents qui est menacée.

David El Sayegh
Directeur Général

 

[1]Contrairement aux auteurs, le Code de la propriété intellectuelle n’impose pas le principe d’une rémunération proportionnelle au bénéfice des artistes-interprètes.