Interview de Guillaume LEBLANC pour News Tank Culture

Publié le 25 juin 2015

« À lui seul, le streaming par abonnement représente désormais 20 % des revenus du marché français. C’est trois fois plus qu’en 2013 ! Ces performances sont le reflet d’un usage qui devient de plus en plus populaire. À titre d’exemple, nous avons lancé en septembre dernier un Top Streaming dont le premier du classement atteignait chaque semaine un million d’écoutes. Moins d’un an plus tard, le premier de ce classement réalise chaque semaine deux millions d’écoutes. L’arrivée de nouveaux acteurs sur ce marché contribuera et contribue déjà à booster l’usage et donc les revenus qui en découlent, et ce au bénéfice de tous », déclare Guillaume Leblanc, directeur général du SNEP, à News Tank le 25/06/2015, jour de l’assemblée générale du syndicat.

Guillaume Leblanc revient par ailleurs sur l’analyse de l’Adami, qui prévoit avec l’arrivée d’Apple Music la création d’un duopole Apple/Google sur le marché du streaming. « En vérité, ce duopole “prophétisé” par l’Adami ne vise qu’à entretenir des craintes et des fantasmes dans un seul objectif : obtenir une gestion collective des exploitations numériques. Personne ne doit être dupe de ce dessein politique auquel l’Adami, dont la seule mission consiste, je le rappelle, à collecter et répartir des droits, se raccroche depuis plus de dix ans et qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde. Et comme à chaque fois, elle en appelle directement au législateur, se targue de représenter tous les artistes et manie les chiffres et les petits calculs au stream. Faire croire que les artistes ne toucheront toujours que des centimes d’euros par abonné alors même que la croissance du streaming n’a jamais été aussi forte, c’est effectivement un “calcul vite fait”. L’Adami doit cesser de jouer contre l’avenir de la filière musicale en prônant une collectivisation des revenus des artistes à marche forcée qu’eux-mêmes ne souhaitent pas. »

Guillaume Leblanc répond aux questions de News Tank.

Quelle est la tendance pour le marché de la musique enregistrée en France depuis début 2015 ?

Malgré le déclin des ventes physiques et du téléchargement à l’acte, la croissance du streaming se confirme et le marché se restructure autour de ce nouveau mode de consommation. À lui seul, le streaming par abonnement représente désormais 20 % des revenus du marché français. C’est trois fois plus qu’en 2013 ! Ces performances sont le reflet d’un usage qui devient de plus en plus populaire. À titre d’exemple, nous avons lancé en septembre dernier un Top Streaming dont le premier du classement atteignait chaque semaine un million d’écoutes. Moins d’un an plus tard, le premier de ce classement réalise chaque semaine deux millions d’écoutes. L’arrivée de nouveaux acteurs sur ce marché contribuera et contribue déjà à booster l’usage et donc les revenus qui en découlent, et ce au bénéfice de tous.

« Le streaming par abonnement représente désormais 20 % des revenus du marché français »

Une partie de l’industrie attend impatiemment l’arrivée d’Apple Music sur le marché, avec son offre uniquement basée sur l’abonnement payant. La coexistence du freemium et de l’abonnement, telle que développée par Deezer ou Spotify, a-t-elle vécu ?

Il existe différents modèles pour faire découvrir le streaming au public : le freemium en est un, le bundle en est une autre. Si chaque clé d’entrée est intéressante, l’intérêt de tous, ayants-droit comme plateformes, c’est la conversion du consommateur au payant, à l’abonnement, qui est en quelque sorte la voie royale. Qu’un acteur comme Apple se positionne dès le départ uniquement sur ce modèle, cela fait déjà bouger les lignes chez les concurrents, notamment sur le marketing de leurs offres et sur leur segmentation. Sur un marché en pleine explosion, c’est évidemment une bonne nouvelle et l’annonce de l’arrivée d’Apple n’a pas empêché ces derniers mois Tidal d’afficher ses ambitions, ni Spotify d’annoncer un nouveau cap franchi en nombre d’abonnés.

« L’arrivée d’Apple Music, sans nul doute un tournant dans l’évolution du streaming »

Surtout, et c’est ce qui est le plus prometteur, c’est le positionnement assumé par un acteur comme Apple qui choisit directement de privilégier le modèle de l’abonnement. Miser sur le seul abonnement, c’est valoriser le travail de création et c’est ce qui permettra de recréer de la valeur autour de ce nouvel usage. C’est sans nul doute un tournant dans l’évolution du streaming.

L’Adami voit, avec l’arrivée d’Apple sur le marché du streaming, la création d’un duopole sur la musique en ligne : Apple pour le payant, d’un côté, et YouTube pour le gratuit, de l’autre, avec la disparition à terme des concurrents. Apple ayant asséché la concurrence sur le marché du téléchargement légal, le scénario décrit par l’Adami n’est-il pas crédible ?

Lorsqu’Apple s’est lancé sur le marché du téléchargement, je ne pense pas qu’ils étaient contraints de faire face à de redoutables concurrents, comme c’est le cas sur le marché du streaming aujourd’hui. Il existe à ce jour plus de 400 plateformes de streaming dans le monde.

En vérité, ce duopole « prophétisé » par l’Adami ne vise qu’à entretenir des craintes et des fantasmes dans un seul objectif : obtenir une gestion collective des exploitations numériques. Personne ne doit être dupe de ce dessein politique auquel l’Adami, dont la seule mission consiste, je le rappelle, à collecter et répartir des droits, se raccroche depuis plus de dix ans et qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde. Et comme à chaque fois, elle en appelle directement au législateur, se targue de représenter tous les artistes et manie les chiffres et les petits calculs au stream. Faire croire que les artistes ne toucheront toujours que des centimes d’euros par abonné alors même que la croissance du streaming n’a jamais été aussi forte, c’est effectivement un « calcul vite fait ». L’Adami doit cesser de jouer contre l’avenir de la filière musicale en prônant une collectivisation des revenus des artistes à marche forcée qu’eux-mêmes ne souhaitent pas.

Sur la question du duopole, pourtant, l’acteur dominant sur le versant gratuit, c’est déjà YouTube…

En effet, et c’est un vrai problème. Depuis de trop nombreuses années, la filière musicale subit la loi des intermédiaires de l’Internet pour lesquels la rémunération des créateurs n’est pas l’essentiel, mais l’accessoire. Cette question du transfert de valeur est bien le sujet central de ce fameux débat sur la valeur qui anime nos débats. Ce doit être notre combat commun : s’unir et agir ensemble, artistes-interprètes, auteurs, éditeurs, producteurs mais aussi plateformes de musique qui acceptent de participer au cercle vertueux de la création. Quand on pense qu’en 2014, le milliard d’utilisateurs de YouTube a permis de reverser 640 M$ (environ 57 M€) aux producteurs et aux artistes, alors que dans le même temps, les 41 millions d’abonnés et la centaine de millions de streamers en freemium des plateformes audio en ont reversé trois fois plus… Il est urgent que le politique pérennise le financement de la création et clarifie le statut des hébergeurs. La réforme de la directive 2001/29 est une opportunité unique.

Comment interprétez-vous la gronde toujours importante d’une partie des artistes contre le modèle du streaming, qui n’est pas suffisamment rémunérateur à leurs yeux ?

D’abord, il faut bien comprendre que nous sommes en train de vivre un changement si profond qu’il ne sert à rien de vouloir raisonner avec les références que nous connaissions jusqu’ici. Cessons, comme le font certains, de vouloir comparer à tout prix les revenus liés à un acte d’achat à ceux d’une écoute en streaming.  Cela n’a pas de sens, puisque justement, les volumes sont totalement inédits. Nous changeons d’échelle. Spotify annonçait d’ailleurs cette semaine que David Guetta était le troisième artiste à atteindre deux milliards de streams sur sa plateforme.

Ensuite, le streaming est un pari gagnant pour l’artiste puisqu’il bénéficie, comme le SNEP avait pu le démontrer, de royautés supérieures à celles appliquées dans la physique. Ce qui signifie que plus le streaming progresse, plus l’artiste est gagnant. La Suède en est le meilleur exemple : dans un marché où la très grande majorité des revenus est issue de l’abonnement, les revenus des artistes ont progressé de 111 % entre 2009 et 2014, selon une étude de l’IFPI. En outre, n’oublions que tous les streams ne se valent pas. Le consommateur qui écoute de la musique en s’abonnant rémunérera toujours mieux le créateur que celui qui tolère l’écoute avec de la publicité. Taylor Swift ne dit pas autre chose !

Certains artistes militent en priorité, non pas pour un meilleur partage de la valeur, mais pour une plus grande transparence dans les relations artistes-producteurs, qui passerait notamment par le détail des revenus issus du numérique dans les relevés de royautés. Leur demande est-elle légitime ?

Nous n’avons pas attendu une loi pour cela ! L’obligation de reddition de comptes, mentionnée d’ailleurs dans le projet de loi « liberté de création », se fait déjà de manière détaillée dans certaines maisons de disques. J’entends d’ailleurs que ces relevés seraient si détaillés qu’ils peuvent apparaître comme compliqués à appréhender. Pour les producteurs, il faut donc trouver le juste équilibre entre la transparence et la nécessité de synthétiser des lignes de revenus pour rendre les choses plus intelligibles. Nous sommes dans un processus continu d’amélioration au service des artistes, à tous les niveaux.

Quant au débat sur les avances non recoupées, les majors se sont exprimées pour dire qu’elles les reversaient aux artistes. Cela aurait-il mérité en amont plus d’information et de communication en direction des artistes ? Peut-être. Mais encore une fois, le dialogue est constant avec les artistes et les efforts de pédagogie réels.

Comment appréhendez-vous la mission de médiation sur l’exploitation numérique de la musique, confiée par le ministère de la Culture à Marc Schwartz ? Êtes-vous prêts à faire un pas en avant, face à une ministre qui semble plus à l’écoute de votre filière ?

Notre première entrevue avec Marc Schwartz nous a permis de lui exposer notre analyse plus globale de la situation et d’apporter une réponse à certaines idées préconçues. La difficulté, c’est que personne ne s’accorde sur un constat partagé et c’est là une vraie faiblesse. Il n’y a jamais eu « d’objectivation » sur la révolution du streaming que nous sommes en train de vivre au sein de cette filière. Ce biais majeur a par conséquent conduit les missions précédentes à souvent présenter la gestion collective obligatoire comme une porte de sortie, sans jamais en démontrer un quelconque intérêt pour les revenus des artistes. En ajoutant un nouvel intermédiaire, ce serait plutôt le contraire ! Regardons autour de nous : la révolution du streaming est en marche mais les équilibres sont encore fragiles. Attention à ne pas hypothéquer l’avenir de notre filière.

Le projet de loi « liberté de création » arrive au Parlement le 28/09/2015. La mise en place d’un médiateur de la musique y est encore inscrite. Pourquoi contestez-vous la création d’un tel poste, qui existe dans d’autres domaines ?

Nous ne partageons pas le constat selon lequel il existerait, au sein de cette filière, un besoin de régulation qui nécessiterait la création d’une autorité administrative indépendante. Quelle en serait la plus-value pour un artiste ? Lorsqu’il y un éventuel litige, un artiste sait très bien s’entourer d’un manager, d’un avocat, quand ce n’est pas des deux. D’ailleurs, si en l’état le Gouvernement souhaite, sans justification, réduire son périmètre d’intervention aux seules relations entre artistes et producteurs ou entre ces derniers et plateformes, pourquoi ne pas alors demander au médiateur de s’intéresser aussi aux répartitions versées aux artistes par leurs sociétés de gestion collective, la Cour des Comptes les ayant questionnés. La transparence doit être la même pour tous. En outre, puisqu’il serait impossible, en l’état actuel de sa rédaction, de lui imposer le secret des affaires, ses recommandations rendraient nécessairement publiques les conditions contractuelles dont il prendrait connaissance. Dans un marché de la musique mondialisé et concurrentiel, ce serait ravageur pour les producteurs établis dans notre pays.

Enfin, au-delà du médiateur, plusieurs autres dispositions demeurent contraires à la convention collective de l’édition phonographique et la fragilisent dangereusement. Si le texte devait rester en l’état, nous n’aurions d’autres choix que de la dénoncer. Je n’imagine pas le Gouvernement, pourtant attaché au dialogue social,  passer en force et mettre en péril un acquis que nous avons mis des années à négocier.

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