Diversité musicale à la radio: Interview Bruno Lion, Président de TPLM – 16/07/2015

Photo Bruno Lion

Bruno Lion : « Je ne vois pas ce que l’idée de diversité musicale a d’archaïque »

Alors qu’un certain nombre de radios  privées réclament un assouplissement des quotas  de diffusions musicales  francophones auxquelles elles sont soumises, Bruno Lion, Président de l’association Tous Pour La Musique (TPLM), qui fédère les différents métiers de la filière, appelle au maintien de ce dispositif, mis en place en 1996, qu’il estime essentiel pour la santé de la production française.

 Les récents communiqués du Syndicat national des éditeurs de phonogrammes (Snep) et de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) font suite à une revendication des radios privées, notamment RTL et NRJ, qui réclament un assouplissement du règlement sur les quotas de diffusions francophones, qu’ils jugent trop lourd. Comment avez- vous perçu cette revendication ?

Nous sommes d’abord très surpris de l’usage que ces organismes privés font des chiffres de l’Observatoire de la musique.  Le moins que l’on puisse dire c’est que les chiffres qu’ils donnent sont soit incomplets, soit erronés, et que les conclusions  qu’ils en tirent nous semblent infondées. Lorsque les signataires évoquent une baisse de la production, je constate que plus de 40 % des nouveautés fournies aux radios sont toujours francophones. Or, tous les indicateurs de diversité en termes de diffusion sont en forte baisse et certains d’entre eux nous perturbent particulièrement : les nouveautés  francophones programmées plus de 400 fois baissent  de plus de 3 % en 2014, ce qui signifie que sur les 31 radios analysées par l’Observatoire, seulement 563 titres francophones ont été programmés plus de 400 fois en 2014 et ont donc disposé d’une vraie visibilité. Par ailleurs, les entrées en playlist baissent de 15% d’une année sur l’autre.

Que répondez-vous à leur argument de l’effondrement de l’offre ?

C’est tout simplement faux. Je remarque  d’ailleurs que tous les grands réseaux de radios privés n’ont pas signé ce communiqué, qu’il y en a au moins un qui a fait des choix plus personnels en termes  d’orientation artistique et qui démontre qu’avec un peu de prise de risque et une poli- tique de programmation précise, on peut parfaitement respecter les quo- tas de diffusion francophone dans ce pays. La question est donc celle de la diversité de ce que programment les radios plutôt que celle de la diversité de la production. La question de fond est que, quelle que soit la réalité  de l’offre, qu’elle provienne d’Internet ou des autres moyens médiatiques, la radio reste le principal prescripteur, ce dont attestent toutes les études sur le sujet. Sur le Web, on va chercher de la musique que l’on connaît  déjà plutôt que de la découverte. Pour l’ensemble de nos métiers, nous avons donc un be- soin vital d’une exposition valorisante et forte en radio. Nous sommes des opérateurs privés, comme les radios, mais la différence  fondamentale est qu’elles utilisent un espace public qui ne leur coûte rien. Or, si la loi exige de la part des radios d’information le plu- ralisme de l’information, il est logique qu’elle demande aux radios musicales d’assurer le pluralisme de la musique.

 Avec la concurrence du Web, où la régulation est impossible, notamment en raison de la manière dont les gens utilisent les services de streaming, comprenez-vous que les radios puissent avoir l’impression qu’on leur impose un règlement archaïque ?

Les radios d’information sont aussi en concurrence avec le Web, et leur obligation de pluralisme ne baisse pas ! Nous sommes dans un pays qui dit soutenir ses industries culturelles, mais la musique est le secteur qui pro- fite le moins de la régulation. Or, c’est la seule protection dont bénéficie la diversité musicale dans ce pays, et je ne vois pas ce que la diversité musicale a d’archaïque.

Est-ce un problème d’offre ou de demande ? Le public français considère-t-il la production française comme mauvaise et la boude-t-il en conséquence, ou est- ce la radio qui ne lui propose pas assez de choses potentiellement intéressantes ?

C’est la question de la poule  ou de l’œuf… Je n’ai pas d’explication rationnelle à ce sujet,  mais cela a un rapport avec la prise de risque. S’agit-il d’une anticipation des goûts du public ou d’un rapport au risque qui, je le conçois, n’est pas simple ? Nous avons aussi à faire à des entre- preneurs, brillants  pour la plupart, mais qui n’ont pas un goût prononcé pour ce qui relève de la régulation. Cependant, lorsque l’on observe les obligations des chaînes de télévision en matière de diffusion,  ce qui est demandé aux radios n’est finalement pas grand-chose. Et c’est le socle in- dispensable sur lequel nous pouvons bâtir quelque chose qui fasse vivre toute la filière.

Si l’on regarde le rapport de l’Observatoire, le champion de la diversité reste Radio France. Avez-vous une remarque à ce sujet ?

Oui, évidemment, cela va de soi, et heureusement ! Mais c’est logique : lorsque l’on parle des radios privées, les obligations de diffusion sont une règle, tandis  que pour les radios pu- bliques financées par une redevance, il s’agit non seulement d’une règle mais aussi d’un devoir.

Le fait d’obliger les radios à diffuser un quotas francophone ne pose-t-il pas à son tour un problème de concentration, qui se traduit par une surprogrammation de Zaz ou Black M, par exemple ? Ces quotas n’auraient-ils pas besoin d’être précisés, en termes de style musical, de type de production, de date de production ?

Ils ont besoin d’être précisés car, comme nous l’avons noté, tous les indicateurs de la programmation, qu’il s’agisse de productions francophones ou non, indiquent une concentration de plus en plus forte. Un chiffre synthétise  tout cela : sur les 50 titres les plus diffusés en 2014, il y en a seule- ment huit qui sont francophones, soit moins de 20 %.

Qu’attendez-vous des pouvoirs publics ?

Nous attendons tout d’abord une prise de position  de la ministre  de la Culture, qui pourrait utilement rappeler la loi et sa légitimité. De nombreux parlementaires sont d’ailleurs sen- sibles à ce sujet et partagent l’analyse globale de TPLM quant au manque de diversité  musicale.  Même s’il existe des nuances, au sein même de TPLM, quant à la manière de remédier à cette absence de diversité, le constat sur ce sujet est, hélas, évidemment unanime.

Propos recueillis par Thomas Blondeau

Article reproduit avec l’aimable autorisation de  Ecran Total / Musique Info : http://ecran-total.fr/